Dans les Hautes-Corbières, ballottés entre deux départements, ces lycéens privés d'internat
Un collectif de parents des Hautes-Corbières, insatisfaits du découpage scolaire, multiplie les démarches interdépartementales pour que leurs enfants aient le choix d'une inscription au lycée, soit à Narbonne, soit à Perpignan dans un établissement avec internat.
"Nous souhaitons que nos enfants puissent être scolarisés dans les P.-O. ou dans l'Aude, et qu'ils aient la possibilité d'être internes !" Ce cri est celui d'un collectif des parents des Hautes-Corbières en lutte depuis plus de deux ans, des communes de Paziols, Padern, Tuchan, Cucugnan et Duilhac-sous-Peyrepertuse.
Selon eux, la ruralité leur est opposée, tel un frein à l'épanouissement de leurs enfants : "On vit bien, on a un confort de vie, mais en contrepartie on nous impose un mode de fonctionnement qui correspond à celui de citadins ! Car le lycée de secteur des enfants de Tuchan, après le collège d'Estagel dans les P.-O., est celui de Maillol à Perpignan, sans internat. Et ces élèves doivent se rendre ensuite, par leurs propres moyens, au lycée Blum de l'autre côté de la ville, pour être hébergés en internat".
En 2021, il était impossible d'être accepté dans un lycée narbonnais, Lacroix ou Louise-Michel, les élèves les plus éloignés accueillis au sein de ces établissements étant ceux du canton de Durban. "Nous sommes Audois ! et notre canton, notre commune sont administrativement dans l'Aude !", assènent ces parents.
Leur combat a porté....et une solution provisoire a été obtenue de haute lutte : une dérogation exceptionnelle, sur demande individuelle de chaque famille est désormais considérée avec bienveillance par les lycées narbonnais. Une solution... provisoire. "Mais pourquoi privilégier les comportements individuels ? s'interrogent encore les parents, unis dans la même demande. "Pourquoi opter pour le "chacun pour soi" alors que nous avons besoin d'une solution pérenne ?"
Je veux que mon enfant ait le choix de ses options
À la descente du bus d'Estagel, ce mercredi 8 novembre, des parents dont les enfants arrivent du collège sont remontés. Pauline, maman d'un petit Maël de 11 ans, trouve qu"'il n'est pas normal que les enfants n'aient pas le choix, plus tard, d'aller dans le lycée qu'ils souhaitent, car ils seront obligés de choisir des options qui ne leur plairont pas forcément mais qui leur permettent d'accéder à l'internat. Nous sommes en zone rurale, nous devrions être prioritaires sur l'internat".
Pour Isabelle, maman de Nathan, 13 ans, "cette mobilisation est importante ; je veux que mon enfant ait le choix car les options sont différentes à Narbonne et Perpignan. À titre personnel, je travaille à Narbonne, mon bassin de vie naturel est Narbonne, je trouve absurde, habitant dans l'Aude d'envoyer mon fils sur Perpignan". Vincent, papa de Lise, 11 ans, abonde dans ce sens en précisant qu'"obtenir une place à l'internat à Lurçat à Perpignan est compliqué".
Car, autre incongruité du système : les collégiens catalans d'Estagel vont ensuite au lycée à Lurçat, un établissement doté d'un internat, alors que leurs camarades audois scolarisés avec eux à Estagel, sont dirigés d'office vers Maillol... sans internat ! Elsa, maman de Fantine, 12 ans, et Guilhem, 16 ans, ne mâche pas ses mots : "Depuis 2 ans, on est esseulés, les parents ont été obligés de faire le travail des élus locaux pour que les enfants aient les mêmes droits que les autres. C’est chronophage et surtout affligeant de voir qu’aucun de nos élus ne nous considère, hormis depuis juin notre nouveau député avec qui nous échangeons régulièrement. Dans le monde rural, ces problèmes se retrouvent dans de nombreux secteurs, pas uniquement l'éducation".
Inégalité devant le service public
Car un autre paradoxe en découle : Carole Delga, la présidente de la Région, a accordé la gratuité des transports scolaires, dans le périmètre de la carte scolaire. Or ces familles ne peuvent en bénéficier : les lycéens audois de ce canton scolarisés sur dérogation dans l'Aude n'y ont pas droit. Une entorse criante au principe de la République : l'égalité de tous les usagers devant le service public. "On n'a aucune considération pour nous, on nous prive de nos droits !", déplorent les parents contraints de payer 195 euros, alors que d'autres ne paient rien.
Prise à bras-le-corps par les parents qui ont multiplié les démarches, la problématique est aujourd'hui connue des services. "Nous avons bien conscience de la difficulté des familles, assure l'inspecteur de l'Education nationale à la direction des services audois de l'Éducation nationale (DSDEN) Franck Vantouroux. Lorsque nous avons été saisis, je me suis mis en relation avec ma collègue des P.-O. Il faut savoir que refaire une sectorisation Education Nationale et Région doit être présenté en instance, c'est un travail de concertation entre les deux DSDEN et la Région. Nous n'y sommes pas opposés. Nous nous y sommes engagés et nous travaillons à cette évolution sur une bi sectorisation. On s'y attelle sur ce modèle-là". L'adoption de la double carte scolaire sera-t-elle effective à la rentrée 2024 ? Les parents en tout cas l'espèrent.
"L'internat ce n'est pas un dû, c'est un luxe !"
Emeline, maman de Margaux, témoigne des difficultés vécues par sa fille il y a 3 ans : "Etant de la fin de l'année, elle avait 14 ans quand elle est rentrée en seconde à Maillol. Ne pouvant être interne, il fallait qu'elle aille toute seule à l'internat à Blum, et on m'a même fait signer un papier pour ça ! En plus de l'insécurité, il y a l'aspect financier : j'ai dû payer la carte des transports de ville de 250 € (en plus de la carte des transports Tuchan/Perpignan, car la gratuité n'était pas encore appliquée par la Région). Cerise sur le gâteau, le réfectoire était fermé le matin à l'heure où Margaux devait prendre le bus. "Elle ne déjeunait pas et devait enjamber le portail, car il était fermé à l'heure de son bus. J'étais révoltée, quand je m'en suis plaint à Maillol, une CPE m'a dit un jour : 'l'internat ce n'est pas un dû, c'est un luxe !". En terminale l'an dernier, Margaux, pour éviter les trajets, a loué un appartement en ville avec une colocataire.
Les parents ont remué ciel et terre
Pendant des années, les parents se sont sentis démunis car malgré leurs appels à l'aide, la situation n'évoluait pas. Le 24 janvier 2022, un mail détaillant la problématique a été envoyé à Hélène Sandragné, présidente du conseil départemental de l'Aude, Kamel Chibli, vice-président de la Région, la députée Mireille Robert, Kattalin Fortuné, Hervé Baro et Sébastien Gasparini, conseillers départementaux : "Ces problèmes récurrents, d’internat et de choix de communes, sont inadmissibles : depuis quelques années, les enfants des Hautes-Corbières ne sont reconnus ni dans l’Aude ni dans les P.-O. et personne ne s’en préoccupe malgré plusieurs appels à l’aide de parents aux élus !" En 2022, une lettre signée de tous les parents, puis des élus du canton, a été transmise au recteur de l'Académie de Montpellier par le sénateur Sébastien Pla. Le vice-président de la Région, Kamel Chibli a fait part du problème à la rectrice de la région. En réponse au vice-président Chibli, le 28 février 2022, la Rectrice de la région académique a assuré qu'"un travail était mené entre les services de l'Education nationale de l'Aude et des P.-O. pour étudier la possibilité d'une double sectorisation (lycée Maillol et lycée Lacroix ) à la rentrée 2023. En attendant, les dérogations d'affectation seront étudiées avec bienveillance, néanmoins, l'affectation au lycée Lacroix ne leur donnera pas de priorité à l'internat". Le 17 juillet 2023, le député Julien Rancoule prend la plume à son tour et écrit au ministre Gabriel Attal, demandant lui aussi "la double carte scolaire pour les territoires ruraux reculés, afin que les élèves puissent bénéficier de structures d'hébergement adaptées". Une réponse du ministère a été apportée au député le 11 octobre dernier, l'informant que la transmission avait été faite auprès de la Rectrice académique d'Occitanie. Le problème de l'internat reste entier.
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