Les Initiatives Océanes, plus qu’une goutte d’eau face à la pollution aquatique

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  • Contre la pollution marine, un message qui doit être reçu en haut-lieu.
    Contre la pollution marine, un message qui doit être reçu en haut-lieu.
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Qui n’a pas entendu parler du “septième continent”, cette masse immense de déchets plastique qui se sont agglomérés au fil des ans en plein océan Pacifique, sur une surface équivalente à trois fois celle de la France ? Il est le symbole d’une pollution qui semble insubmersible. Les collectes de déchets aquatiques, de plus en plus en vogue chez les citoyens, semblent une goutte d’eau. Le programme Initiatives Océanes, qui ajoute à ces opérations une part de science participative, permet d’établir des bilans qui pèsent lourd auprès des gouvernants. Et qui éveillent les consciences.

Fumer tue. L’organisme de l’accro aux clopes, mais pas que. Le milieu aquatique essuie aussi un coup de tabac qui a des effets dévastateurs. Chaque année, un bilan en témoigne. Celui d’Initiatives Océanes, un programme porté par l’association trentenaire de défense des océans, Surfrider Fondation Europe, créée par un groupe de surfers et basée à Biarritz. Depuis vingt-cinq ans, il s’agit de soutenir les collectes des déchets qui polluent les eaux de la planète, des opérations de plus en plus en vogue chez les citoyens. Mais, Initiatives Océanes y ajoute la science participative, une solution face à une pollution qui ressemble à un puits sans fond.

Et donc, quand vient le temps de l’inventaire des ennemis de la mer, à partir des données qui remontent du terrain, le mégot a toujours le même numéro : il est le premier du top 10 des déchets ramassés. Confirmation l’an dernier, avec près de 2280 collectes réalisées par plus de 91 000 citoyens, dans une cinquantaine de pays, essentiellement la France ou l’Espagne. “En 2019, 4 millions de mégots ont été récupérés”, dénombre Sofiane Hadine, le chef de projet d’Initiatives Océanes. Il arrondit au chiffre inférieur.

Le mégot de cigarette, numéro un des déchets aquatiques. Souvent, ils ont été jetés dans la rue des villes, en amont.
Le mégot de cigarette, numéro un des déchets aquatiques. Souvent, ils ont été jetés dans la rue des villes, en amont.

Mais pour marquer les esprits, Surfrider image : ce déferlement sur les plages, berges, rives et même fonds sous-marins, transformés en cendriers géants, cela représente 400 fois la Tour Eiffel… On peut aussi parler des 88 327 cotons-tiges récoltés l’an dernier qui, mis bout à bout, égalent 60 terrains de foot alignés. Ou des 123 874 gobelets en plastique, équivalents à la hauteur de l’Everest. Ou, pour l’indigestion, des 78 389 canettes récupérées. Si elles étaient toutes de soda, elles représenteraient la consommation de 379 410 morceaux de sucre. En tout, 1977 m3 de déchets ont été ramassés, de quoi remplir 10 000 baignoires.

Un mégot peut polluer 500 litres d’eau

N’en jetez plus ? C’est justement le message d’Initiatives Océanes, qui, avec ses bilans annuels de 90 pages, lance inlassablement ces pavés dans la mare, pour alerter et faire bouger les choses. Dans l’esprit des citoyens d’abord, même si, ces dernières années, la prise de conscience est de plus en plus forte, et le thème d’actualité. “Entre 2018 et 2019, nous avons doublé le nombre de participants à Initiatives Océanes”, note ainsi Sofiane Hadine.

De plus en plus de citoyens participent à des opérations de nettoyage des plages.
De plus en plus de citoyens participent à des opérations de nettoyage des plages.

Chaque année, on ne compte plus les opérations de nettoyage des plages (à 75 %), mais aussi des rivières ou des lacs, organisées sur le terrain par des associations, de simples citoyens, des clubs sportifs, mais aussi des entreprises, en France mais aussi, petit à petit, dans d’autres pays du monde. Dans l’Aude ou les P.-O., départements littoraux, on en trouve facilement à côté de chez soi. Le site internet d’Initiatives Océanes témoigne de cette vague verte en pleine croissance, lui qui recense ces collectes de déchets estampillées Surfrider. Même si, bien sûr, l’année 2020 restera particulière, en raison de la crise sanitaire.

Mais, pour Sofiane Hadine, on ne voit que la partie émergée de l’iceberg. “Les gens qui jettent leur mégot dans la rue en ville n’ont pas conscience des conséquences. Via les eaux de pluie et les égouts, il finit à la mer”, illustre le chef de projet d’Initiatives Océanes, qui rappelle comment “80 % des déchets aquatiques viennent de l’intérieur” des terres. Et le mégot, en plus d’être principalement en plastique, contient 2500 polluants chimiques. “Il peut contaminer 500 litres d’eau”, alerte le jeune chef de projet.

Un mégot peut contaminer 500 litres d'eau.
Un mégot peut contaminer 500 litres d'eau.

Enfin, toute une pollution peut passer inaperçue. “C’est une pollution invisible, qui ne saute pas aux yeux. Il faut vraiment se baisser pour la voir. Lorsque les gens la constatent visuellement, ils se disent : ah oui ! Il y a vraiment un gros problème”. Exemple type : les microbilles en plastique, ces minuscules granulés que l’on dégote parmi les grains de sable, pourvu que l’on soit attentif. On les appelle les larmes de sirènes, un nom poétique qui ne doit pas faire oublier à quel point ces polluants, “qui sont des milliers et des milliers sur les plages”, sont nocifs.

Alors, de ces microplastiques aux moteurs de voiture, baby-foots, tondeuses, aspirateurs ou frigos qui finissent à l’eau - “Il y a encore ce réflexe résiduel, avec des gens qui prennent la mer pour un dépotoir géant”, regrette Sofiane - 256 kilos de déchets échouent dans le milieu aquatique... à chaque seconde.

Pour peser sur les politiques

Inutile donc de se voiler la face. Les opérations de nettoyage, notamment des plages, représentent une goutte d’eau. “Il y a plus de déchets qui entrent que ceux qui sortent. Il faudrait couper le robinet”. Mais comme les petits ruisseaux font les grandes rivières, il est nécessaire de poursuivre. “Ces collectes plaisent aux gens, cela permet de faire de la sensibilisation. Elles constituent aussi une porte d’entrée vers la science participative”, explique le chef de projet.

 En 2019, 91 000 citoyens ont participé aux collectes de déchets aquatiques d'Initiatives Océanes.
En 2019, 91 000 citoyens ont participé aux collectes de déchets aquatiques d'Initiatives Océanes.

Avec Initiatives Océanes, en effet, on propose aux participants d’aller au-delà “du curatif”. On fournit aux organisateurs qui s’inscrivent sur la plateforme des sacs ou des gants, mais aussi des guides, des banderoles, des documents de sensibilisation à distribuer sur le terrain, et surtout des fiches pour “quantifier et qualifier” les déchets ramassés. Ils peuvent aussi utiliser l'application mobile Marine Debris Tracker, “qui permet de collecter de la donnée sur 35 items n'importe où, lors d'une promenade à proximité de l’océan d’un lac ou d’une rivière ou lors d’une collecte de déchets”. Surfrider s’est également associée à l’Agence Européenne pour l’Environnement, avec l’application Marine Litter Watch, plutôt réservée aux organisateurs plus expérimentés.

Une pollution parfois peu visible.
Une pollution parfois peu visible.

Quelle que soit la source, les données communiquées à l’ONG lui permettent d’élaborer ses bilans annuels environnementaux, qui peuvent peser lourd et influer sur les politiques menées au niveau local, national et européen. “Grâce à cette implication sur le terrain et cette détermination, les institutions européennes ont adopté en 2020, une directive qui vise la réduction à la source de 10 produits plastiques à usage unique, qui correspondent aux 10 déchets plastique les plus retrouvés sur les côtes européennes”, se félicite ainsi Surfrider. L’association n’est pas étrangère, non plus, à l’interdiction des sacs plastique, et espère que l’on constatera un avant-après lors des collectes futures.

Une réponse globale

“Les choses bougent, il ne faut rien lâcher, ce n’est pas gagné”, exhorte Sofiane Hadine. Car, face à une pollution qui a conduit à l’émergence d’un septième continent de plastique, la réponse ne peut qu’être globale. “C’est une problématique internationale. Les déchets se dispersent au gré des courants, et tous les pays du monde doivent agir. C’est comme pour les gaz à effet de serre. Si toute l’Europe arrête d’en produire, cela ne servira pas à grand-chose si d’autres continuent”.

"Des gens prennent encore la mer pour un dépotoir".
"Des gens prennent encore la mer pour un dépotoir".

Et ce sera aussi un coup d’épée dans l’eau si on n’agit pas en amont, à l’intérieur des terres. Exemple, avec notre fameux et fumeux mégot. “On voit se développer de bons réflexes, avec des outils comme les cendriers de poche. Des mairies ont aussi proposé aux usagers des plages des cornets en papier, non pas à glace mais pour y mettre leurs mégots, afin d’éviter de les laisser sur place”. Des collectivités ont carrément interdit de s’en griller une sur le sable. Mesure radicale et idéale ? A Initiatives Océanes, on rappelle et prévient : “80 % des mégots viennent de l’intérieur des terres. Si rien n’est fait dans les villes par exemple, on n’y arrivera pas”.

Le top 10 “des prédateurs de l’océan”

Selon les données collectées lors des Initiatives Océanes, voici le top 10 des déchets qui polluent les mers et océans.

  1. Mégots de cigarettes
  2. Fragments de plastique 2,5-50 cm
  3. Sac plastique et fragments
  4. Fragments de polystyrène 2,5-50 cm
  5. Bouchons de bouteilles
  6. Tous types de bouteilles plastique (boisson)
  7. Emballages alimentaires
  8. Morceaux de verre
  9. Filets/cordes entremêlées
  10. Emballages de snacks/sucreries

Drôle de pêche côté Méditerranée

Plus de 28 % des collectes Initiatives Océanes ont été organisées en 2019 sur les façades maritimes de la Méditerranée occidentale. Bref, chez nous, essentiellement en France et en Espagne. La zone est la deuxième du programme, après le Golfe de Gascogne (35 % des collectes). Pas d’exception locale : les mégots de cigarettes restent numéro un des déchets ramassés. Rien qu’en milieu marin, en 2019, 111 945 ont été récoltés, soit 43,75 % des déchets retrouvés sur les plages. Des plages à 100 % touristiques. Nicolas Costa, de l’association Cap Océan (Gard), peut témoigner des conséquences de cette fréquentation élevée : “Cela m’a permis de constater une augmentation de la pollution due aux mégots de cigarettes pendant la période estivale. Nous avons organisé un nettoyage de plage début juin et récolté 6000 mégots. Sur la même plage, pendant le second nettoyage début octobre, nous avons ramassé plus de 30 000 mégots”. Dans le bilan 2019 d’Initiatives Océanes, sur la façade de Méditerranée occidentale, on pêche quelques curiosités. On vous les livre en vrac. Les organisateurs ont collecté de nombreux bouchons de liège lors de leurs opérations. A Nice, sur la promenade de bord de mer, 82 ont été ramassés, en une seule fois. Sur une plage de Valencia, en Espagne, on a trouvé 16 piles. Sur la plage de Rogliano, en Haute-Corse, on a compté 230 cartouches de chasse. Grosse prise sur une plage de Melilla, en Espagne : 923 cotons-tiges d’un coup. Pas mal aussi : les 380 pailles ramassées lors d’une collecte sur une plage de Barcelone.

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Les commentaires (1)
baron-de-synclair Il y a 3 années Le 18/11/2020 à 15:16

Taxe au mégot en vue ?